Dessiner les bulles de BD
Brève histoire des bulles
Les bulles de BD n'ont pas toujours existé.
À ses débuts, la bande dessinée était une succession d'images racontant une histoire. Comme dans le cinéma muet, qui intercalait des plans texte entre deux plans filmés, les paroles ne faisaient pas partie de l'image : on les plaçait en-dessous des cases, comme une légende.
Cette technique posait quelques problèmes, notamment celui de savoir qui parle. Mais comment représenter visuellement la parole, qui est, par nature, immatérielle ?
Depuis plusieurs siècles, les artistes utilisaient des phylactères, supports physiques pour représenter la parole : des parchemins, des banderoles... Le phylactère est représenté physiquement dans l'image, mais le spectateur sait qu'il n'existe pas physiquement dans le même espace que les personnages.
Saint Anne and Angel de Strigel (1506)
Au moment où la bande dessinée prend son essor, les auteurs s'approprient donc le phylactère pour l'intégrer à leurs images. Le phylactère devient une bulle ; les deux mots sont d'ailleurs synonymes.
Aujourd'hui, les bulles sont une conventiondans la bande dessinée. Toutes les bandes dessinées, quel que soit leur genre (humour, aventure, roman graphique...) ou leur origine (la BD franco-belge en Europe, les comics aux Etats-Unis ou le manga au Japon), utilisent des bulles. Certaines mêmes font des bulles leur thème principal !
Série humoristique dont le personnage principal rêve de devenir un héros de BD.
Blog BD où aucun personnage n'est représenté : tous les gags sont véhiculés par les bulles.
Montrer qui parle
Pour bien comprendre la forme du phylactère, et son utilisation, dites-vous qu'une bulle de BD, c'est de l'air expiré. Il prend racine dans le ventre et s'échappe par la bouche, comme notre voix. Ensuite, une fois dans l'air, il se développe et fait place au texte, comme un son qui se répand dans l'air ambiant.
Quand on a compris ça, on a compris la forme de la bulle. Généralement de forme ronde ou carrée (avec parfois les coins arrondis), la bulle se compose de deux éléments : la bulle elle-même, où l'on écrit les paroles, et la queue, qui pointe vers le personnage qui parle.
Le gros avantage du phylactère, par rapport à une légende écrite sous la case, c'est d'indiquer qui parle. C'est la queue de la bulle qui remplit cette fonction. Observez ci-dessous comment, en modifiant seulement la position de la queue, on change complètement le sens de l'image.
Le dernier exemple est intéressant car celui qui parle n'est pas dans l'image : on appelle ça un hors-champ. En faisant pointer la queue vers la bordure de la case, ou vers l'extérieur de l'image, on implique un personnage qui n'est pourtant pas représenté. L'avantage est double : on situe ce troisième personnage par rapport aux autres, et on peut créer un effet de surprise.
Rorschach, ici en imperméable, rend visite à une personne qui n'a pas encore été nommée, ni montrée. Au moment où il pousse la porte, cette personne l'accueille d'un "Bonsoir, Rorschach". Pourtant, le plan est centré sur Rorschach. Non seulement le spectateur est maintenu dans le suspens, mais en plus il devra tourner la page pour le découvrir, car cette case est astucieusement placée à la fin d'une double-page. Ce petit effet de surprise permet de rythmer la lecture.
Attention, la queue de la bulle doit absolument pointer vers la source du son, généralement la tête du personnage qui parle !
Au premier coup d'œil, on croirait que cette image d'Iris ne comporte pas de texte. Il est pourtant bien là, tout petit et... à ses pieds ! Ce n'est pas joli, pas visible et pas lisible.
Il est fort probable qu'Iris a fait son dessin sur tout l'espace disponible, et qu'elle a ensuite rajouté le texte là où il restait un peu de place. À éviter !
Que vous dessiniez à l'ordinateur ou avec des techniques traditionnelles, dessinez sur une surface plus grande que nécessaire. Ne commencez jamais à dessiner dans un coin : dessinez en plein milieu, et gardez de l'espace ! Vous pourrez toujours rogner votre image au moment de la scanner ou de l'enregistrer. Et, si vous dessinez à l'ordinateur et que vous n'avez plus de place, agrandissez la taille de votre document !
Exprimer une intonation
Exprimer des émotions, c'est un tout. Bien sûr, le visage est un grand vecteur d'émotions, mais le corps aussi, et les idéogrammes (ces petits symboles dessinés propres à la BD). Alors pourquoi pas les bulles ?
La forme de votre bulle exprime le volume et l'intonation de la voix du personnage.
Dans une BD classique, un seul scénariste gère tous les personnages et les personnages ne peuvent pas lire les pensées écrites dans les bulles (qui sont destinées au lecteur). En revanche, sur le Forum Dessiné, chaque auteur est un personnage, donc les personnages "peuvent", par le biais de leurs auteur, lire les pensées des autres. Ce qui donne lieu à des situations absurdes, comme ici :
Pour pallier à ce problème, les lubiens ont inventé deux façons de transmettre des pensées de façon cachée (accessible au lecteur, mais pas au personnage).
La première consiste à écrire la pensée de façon quasiment illisible, souvent d'une couleur très claire. Un peu comme un message subliminal.
La seconde méthode consiste à rédiger un court message dans le nom de l'image. Il est humainement impossible de lire les noms de toutes les images postées sur le forum, alors ces petits clins d'œil passent très souvent inaperçus !
Dessiner une bulle
La bulle n'est pas un rajout, un parasite, un élément accessoire. C'est un élément du dessin, au même titre que le personnage ou le décor. Pour cette raison, elle doit être harmonieuse avec le reste de l'image : ne la bâclez pas !
Forme de la bulle
Tant qu'on distingue la bulle et la queue, tant quelle pointe bien vers la tête du personnage, il n'y a pas de limites. Inventez une forme de bulle qui vous plaise !
Épaisseur des traits
Il y a une règle essentielle : l'épaisseur des traits doit être la même partout sur votre dessin, que ce soit pour le texte, pour le contour de la bulle, ou pour le personnage.
Voici quelques bulles qui ne respectent pas la règle de l'épaisseur de trait constante. Le dessin a l'air brouillon et la bulle "parasite" le reste de l'image.
Et tant qu'on y est : un correcteur orthographique (dans Word ou sur Internet) peut vous éviter des fautes comme "conseille" (au lieu de "conseils") ou encore "préjugées" (au lieu de "préjugés").
Couleur
Généralement, une bulle est blanche, avec un contour noir. Mais rien n'empêche qu'il en soit autrement, tant que ça reste lisible et esthétique ! L'avantage d'une bulle blanche à contour noir, c'est qu'elle se voit partout : sur un fond clair, son contour noir l'isole du reste, et sur un fond sombre, sa couleur blanche la rend également visible.
Quelles que soient vos couleurs, choisissez-les bien contrastées : fond très clair et texte en noir, ou fond très sombre et texte en blanc.
Dr Manhattan (en bleu) est un personnage surhumain au comportement étrange.
Dans cet album quasi noir et blanc, la couleur est utilisée pour les bruits.
Parce que c'est une BD très colorée et détaillée, le blanc sert à isoler et dessiner ses bulles.
C'est une question de bon goût, de lisibilité et de conventions.
Écrire à la main
Si vous le pouvez, écrivez plutôt à la main ! Dans un dessin, votre voix, c'est votre écriture. De la même façon qu'une voix douce, ou bègue, ou très basse, va révéler une partie de la personnalité d'une personne, votre écriture contribue à révéler la personnalité de votre personnage. Il est donc important d'employer une écriture qui vous ressemble !
Pouvez-vous deviner quelles bulles correspondent à des personnages masculins, lesquelles à des personnages féminins ? Quel trait de caractère vous évoquent les voix ci-dessous ?
- Une voix claire et nette, androgyne, qui va bien à Flem.
- Une écriture anguleuse et appliquée qui m'évoque une voix tranchante et nasillarde, c'est celle de Quasar.
- Écrite très vite, épaisse et souple, la voix de Lune sent la jeunesse insouciante.
- Une écriture en boucles mais sans fioritures : Vaëll a une voix très féminine.
- En minuscules mais lisible, à peine inclinée, d'un brun sombre et chaud, Pamille a une voix légère et vivante, c'est très réussi !
Il s'agit bien évidemment d'interprétations personnelles : chacun peut ressentir différemment les écritures et les voix !
Même si votre écriture est inchangeable, vous pouvez faire passer différentes émotions. Par exemple, il m'arrive parfois de changer d'écriture pour adapter ma voix à la situation.
Mais attention ! Le texte dans une BD doit avant tout être lisible ! N'écrivez pas trop petit (ni trop gros). Appliquez-vous pour former de belles lettres bien lisibles. Et si vous avez un peu de mal, écrivez en MAJUSCULES, et non en minuscules. C'est d'ailleurs la règle générale en BD (même si, avec la démocratisation des blogs, notamment des blogs "girly", cette tendance se perd un peu).
Mais si votre écriture manuscrite est tremblante, si vous écrivez en pattes de mouche, si vous n'avez pas de tablette graphique ou si, pour toute autre raison, votre texte manuscrit est illisible, on arrête tout !
...il va être temps de songer à utiliser une écriture informatique, aussi appelée police de caractères.
Il y a ceux qui savent, parce qu'on le leur dit tout le temps.
Mais peut-être que vous ne savez pas trop, que votre écriture n'est pas à 100% illisible, que vous la déchiffrez sans peine parce que vous y êtes habitué... essayez de la lire dans un miroir, ou à l'envers. Le fait de regarder une image à l'envers efface la connaissance que votre cerveau en a, et vous permet de la voir comme pour la première fois. Vous serez alors surpris de vous trouver illisible !
Surprenant, n'est-ce pas ? Les bulles en majuscules restent lisibles à l'envers : c'est un peu long à déchiffrer, mais la forme des lettres est bien reconnaissable. Par contre, les écritures scriptes deviennent un vrai cafouillis, plus ou moins impénétrable selon l'application de l'auteur ! Remarquez aussi que le texte est plus dur à lire quand il n'est pas droit.
Alors, par pitié pour ceux qui n'ont pas l'habitude de lire votre écriture : appliquez-vous, écrivez en majuscule ou optez pour une police.
Vous pouvez d'ailleurs créer votre propre police informatique à partir de votre écriture manuelle, grâce au site MyScriptFont. Essayez !
Bien choisir sa police de caractères
Votre voix est unique pour une infinité de raisons : sa tonalité, sa musicalité, sa hauteur, son accent... Il est donc important de choisir une écriture qui vous ressemble !
Globalement, il y a trois types de polices informatiques :
Les polices serif : ce sont des polices travaillées. Les empâtements aident l'œil à faire la liaison d'une lettre à l'autre.
Quand les utilise-t-on ? Pour les textes longs (romans, essais, poèmes...).
Les polices sans serif : ce sont des polices "bâton", très faciles à lire.
Quand les utilise-t-on ? Pour les textes courts (petits titres, web, bulles de BD...).
Les polices fantaisistes : très complexes et variées : style far-west ou machine à écrire, calligraphie ou gothique...
Quand les utilise-t-on ? Pour la décoration (titres, logos, design...).
Par défaut sur votre ordinateur, vous devriez avoir des polices telles que Arial ou Calibri d'installées. Elles sont très bien, mais un peu "standard". Pour plus de fantaisie, n'hésitez pas à télécharger d'autres polices sur le site www.dafont.com. Les catégories Fantaisie > BD, Comics (attention, faites le tri) et Basique > Sans serif en particulier sont très intéressantes !
Les polices que vous téléchargerez seront au format .zip, c'est-à-dire qu'elles sont compressées pour être téléchargées plus rapidement. Dans un premier temps, vous devez dézipper ce fichier pour récupérer les polices telles quelles. Vous avez sûrement un tel logiciel d'installé sur votre PC ; sinon, je vous conseille WinRAR pour Windows et Zipeg pour Mac.
Dans le fichier .zip, vous allez récupérer un fichier .ttf : c'est ça, votre police. La manipulation pour l'installer dépend de votre ordinateur :
- sous Windows 7 et plus récent, faites un clic droit sur le fichier .ttf et cliquez sur Installer ;
- sous les versions plus anciennes de Windows, allez dans le Panneau de configuration et double-cliquez sur l'icône Polices. Vous pouvez alors glisser-déposer votre police dans ce dossier, OU faire Fichier > Polices > Installer une nouvelle police.
- sous Mac, faites double-clic sur le fichier .ttf et cliquez sur Installer la police en bas de la fenêtre.
- sous Linux, ...attendez, qui a Linux ici ? XD
Généralement, l'utilisation de GRAS, d'ITALIQUE ou de SOULIGNEMENTS est à éviter. Ils pourront exceptionnellement servir à mettre en avant certains mots dans le texte (un usage fréquent dans les comics américains) mais n'écrivez pas tout en italique ou en souligné !
Pourquoi ? Parce que vous allez être maudit jusqu'à la 7e génération, que votre chien va mourir, que votre maison va brûler et que vous errerez sans fin dans les limbes après votre mort.
J'explique. La police Comic Sans MS est l'une des polices installées par défaut sur Windows. Contrairement à des polices comme Arial ou Times New Roman que les gens trouvent trop "sérieuses", elle a été conçue comme une police sympa, un peu fantaisiste. Du coup, tout le monde l'utilise partout. Partout. PARTOUT.
Et c'est bien là le problème. Comme l'explique Mr Arobase, "Le Comic Sans MS est devenu un standard mais n'a pas du tout été conçu pour ça. Il est devenu un standard, de fait, par défaut, parce qu'il est un peu le seul dans sa catégorie que l'on trouve par défaut sur tout les PCs sans avoir rien à faire. Il est utilisé par ceux qui veulent faire cool et original, et qui, en l'utilisant, ne sont justement ni l'un ni l'autre. Ils sont ridicules et agaçants. Il est devenu ainsi, un signe d’amateurisme et de faute de goût."
Donc, OK, vous ne serez pas maudit si vous utilisez la Comic Sans MS. Mais aux yeux de tous les graphistes du monde entier, vous passerez pour un beauf. D'où mon conseil : allez donc télécharger des polices plus originales sur Dafont et choisissez une police qui vous plaise vraiment.
Si vous voulez en savoir plus, voici un site très rigolo (en anglais) qui explique les méfaits de la Comics Sans MS.
Composition et mise en page
Allez... un dernier truc et je vous lâche avec les phylactères. Je vous l'ai déjà dit : une bulle n'est pas un rajout parasite que l'on fixe où on peut sur une image. C'est un élément important dans la composition de l'image !
La composition, qu'est-ce que ça veut dire ? Eh bien, votre image doit paraître équilibrée, l'œil doit se promener agréablement dans l'image et le texte. La bulle, donc, doit faire partie de la composition.
Proportions 4/3
Première règle : votre bulle doit globalement s'inscrire dans un rectangle aux proportions 4/3. Le rectangle peut être horizontal ou vertical : les Japonais utilisent plutôt un format vertical dans les mangas, car ils écrivent verticalement ; en Europe et en Amérique, on trouve plutôt des formats horizontaux.
Découpe du texte
Vous ne devez donc ni trop découper le texte, ni l'écrire sur une seule ligne>. Il faut trouver le juste milieu. Mais pas n'importe comment ! Essayez de placer les passages à la ligne là où la respiration est naturelle : là où il y a de la ponctuation ou encore entre deux groupes de mots. Vous devez aussi découper la phrase en morceaux de longueur à peu près égale.
Remarquez que, mieux le texte est découpé, et plus il est facile à lire ! C'est le syndrome du "TL;DR" (too long; didn't read) : pour ne pas décourager votre lecteur, mâchez-lui le travail et ménagez-lui des pauses.
Les auteurs de BD professionnels aussi font ce travail. Sur le croquis ci-dessous, notez comme le texte est préalablement découpé en morceaux ("C'est moi qui / ai écrit / à l'Ordre...") et comment les cases comportent des lignes pour écrire droit...!
Sens de lecture
Une fois votre texte découpé en plusieurs bulles, attention au sens de lecture. En Europe et en Amérique, on lit de haut en bas, et de gauche à droite. Vérifiez que l'ordre de vos bulles est logique !
Dans une BD classique, plusieurs personnages s'expriment sur la même case. Mais sur le Forum Dessiné, chaque case est une réponse à une case précédente. La bulle de texte à laquelle vous répondez a déjà été dite. Vous devez donc l'effacer pour éviter la répétition.
Placement dans l'image
La composition globale d'une case dépasse le cadre de ce tutoriel. Mais, rapidement : considérez votre bulle comme un personnage. Accordez-lui une place aussi importante, aussi équilibrée. Ne la casez pas au dernier moment dans un petit coin !
Non, car, comme on l'a vu précédemment, le prochain auteur qui reprendra votre image effacera votre bulle. Il pourra donc se dessiner à la place laissée vacante par cette bulle.
Et puis, il pourra toujours agrandir ou compléter l'image selon ses besoins !
La "science des phylactères" ne s'arrête pas là ! Si vous voulez en apprendre plus, il n'y a pas de secrets : regardez les bandes dessinées que vous lisez avec attention, observez comment les bulles sont dessinées, réfléchissez à leur place dans l'image, etc.